Dans les dernières années, la qualité de nos débats sociétaux souffrent d’une certaine immaturité collective. Une dose grandissante de mauvaise foi. Nous n’en sommes pas encore au niveau américain où les Démocrates et les Républicains vivent dans des réalités parallèles, mais ça devient tout de même préoccupant.
C’est lorsqu’une question de racisme peut être impliquée que ça dégénère. Des sujets comme l’immigration, la laïcité, l’intégration versus le multiculturalisme. Discuter de ces sujets avec intelligence et bonne foi s’avère un défi.
J’étais agréablement surpris quand la discussion sur Bedford s’est amorcée. On semblait apte à discuter de l’enjeu sur le fond. On voyait même des alliances transpartisanes se créer avec le super travail de Marwah Rizqy. Le bien des enfants dans notre système scolaire semblait la priorité de tous.
Puis, c’est revenu en force.
Lorsque Paul St-Pierre Plamondon a osé parler de gens « issus de l’immigration », il est devenu trop tentant de revenir à nos vieilles dynamiques de procès d’intention et de criage de noms un peu bête. J’en conviens, c’est un sujet sensible qui demande une certaine bienveillance et des intervenants responsables, mais on doit être capable de parler de ces enjeux, même si ça peut être inconfortable.
Mes origines italiennes
Prenons comme exemple ma propre histoire familiale avec mes arrière-grands-parents qui sont arrivés de l’Italie au siècle dernier. Si vous trouvez que Chandonnet ne sonne pas très italien, je vous félicite déjà pour votre perspicacité. C’est que ça se passe du côté de ma mère.
Mes arrières-grands-parents représentaient la fameuse première génération. Est-ce que mon grand-père, deuxième génération, pouvait encore être considéré comme issu de l’immigration? Il a été élevé par deux parents qui arrivaient d’Italie alors il me semble raisonnable de prétendre que oui.
Ensuite, ses enfants, dont ma mère, représentaient la troisième génération. Elle, mes oncles et mes tantes sont tous très fiers de se dire Italiens, mais ils connaissent très peu la langue et leur héritage me parait plutôt abstrait (même si bien plus vif que le mien). Il faut dire qu’à Notre-Dame-du-Nord au Témiscamingue, une municipalité de 1000 quelques habitants, les quartiers de la Petite Italie sont rares. Préserver ses racines représente un pas pire défi et disons que mes oncles sont devenus pas mal plus des joueurs de hockey que de foot.
(D’excellents joueurs de hockey, d’ailleurs.)
Déjà à cette troisième génération, continuer de les associer à l’immigration commence à me sonner saugrenu. Et rendu à moi, à la quatrième génération, je ne vois plus trop ce qui pourrait me distinguer de quelqu’un dont les ancêtres seraient débarquée il y a 10 000 ans. Bon, on pourrait étiqueter vaguement mon côté passionné à mes racines, mais je suis aussi italien qu’une pizza pochette.
Un élément qui est pertinent à préciser, c’est qu’il n’y a rien d’évident qui permet aux autres de me ramener à un quelconque statut migratoire ou à mes racines italiennes. Je suis une personne blanche. Je ne porte pas le nom de ma mère. J’ai un accent très abitibien. Et même si je suis profondément athée, je viens d’une famille à l’héritage catholique qui se fondait parfaitement à la majorité québécoise de l’époque.
Tout ça m’a donc placé à l’abris de plusieurs préjugés ou de questions fréquentes (voire gossantes) sur mes « vraies » origines.
De plus, chaque histoire est différente. Boucar Diouf est de première génération et je le sens intégré d’une façon remarquable. À l’inverse, j’ai des amis dont les parents sont arrivés du Vietnam et n’ont jamais vraiment été en mesure de bien apprendre la langue, ce qui semblait leur amener un certain isolement et ça ajoutait toutes sortes de défis supplémentaires pour connecter à la société.
(J’écris d’ailleurs un autre texte sur combien on surévalue la capacité des gens à apprendre une nouvelle langue à un âge adulte plus avancé.)
Molson, salut les vrais!
Mais dès qu’on s’embarque publiquement dans une discussion qui parle des « de souche » versus les « issus de l’immigration » ou qu’on se questionne à partir de quand devient-on un « vrai » Québécois, on se trouve en terrain glissant.
D’ailleurs, Yvon Deschamps avait un excellent monologue sur les « vrais » Québécois dans les années 70. De mémoire, ça finissait que les critères étaient si nombreux qu’ils n’étaient plus que 4-5 «vrais » dans tout le Québec.
C’était brillant, parce que ce type de nationalisme bête existe. Avant, ça ressortait chez les plus cabochons à la taverne du coin, mais avec internet et les réseaux sociaux, c’est beaucoup plus « dans notre face » qu’avant.
Cela dit, est-ce que ce type d’intolérance est représentatif du Québécois moyen? Je ne le crois pas.
En général, je remarque beaucoup plus de l’ignorance et de la grosse maladresse. Par exemple, si on demandait à ma mère d’expliquer la composition d’une classe à Bedford, je suis certain qu’elle se mettra les pieds dans TOUS les pièges qui existent. Et pourtant, c’est une femme aussi inclusive que n’importe qui et avec un cœur immense.
Même pour des initiés qui sont habitués d’en parler, ces sujets sont remplis de pièges potentiels. Les bons mots à utiliser changent aux six mois. On doit ajouter des parenthèses. On doit spécifier chaque fois qu’on généralise et qu’il y a des exceptions et que ça veut pas dire que ci ou ça…
Entre personnes de bonne foi qui cherchent à avoir une discussion intelligente, ça se passe sans heurt et on n’a pas à tout préciser, mais si quelqu’un décide de s’installer dans les estrades avec son petit calepin de notes et un peu de mauvaise foi, c’est autre chose. Il sera très facile de cherry-picker chaque élément potentiellement problématique pour en arriver à des conclusions horribles.
« Êtes-vous en train de dire que ces enfants-là ne sont pas des vrais Québécois? »
C’est le type de discussion où la bonne foi est indispensable. Si collectivement, on perd notre bonne foi, la discussion devient impossible. Et pour le moment, on souffre souvent de bonne foi sélective. Je vous donne quelques exemples.
Le cas Ruba
Samedi de la semaine passée, à Tout peut arriver, Ruba Ghazal parlait de son histoire inspirante où elle est arrivée au Québec à l’âge de 10 ans. Elle racontait avec une belle candeur qu’elle est devenue Québécoise en côtoyant des Québécois. Qu’est-ce qu’elle voulait dire par là? Tout le monde l’a compris. Marie-Louise Arsenault a un peu bogué parce qu’elle est du genre à insister que tout le monde est Québécois dès que le premier orteil franchit la frontière, mais elle est passée par-dessus.
Parce qu’il y a des fois où l’on choisit de comprendre et il y a des fois où l’on choisit de se gâter avec la mauvaise foi. Dans ce cas-ci, Ruba Ghazal est une enfant de la loi 101, d’origine palestinienne, une député de Québec solidaire. Elle coche donc les bonnes cases pour qu’on choisisse de la comprendre.
Personne n’a essayé de twister ses propos pour dire que Ruba prétend que les immigrants sont de faux québécois avant de passer 200 heures avec des vrais Québécois de région. Aucun titre de journal tendancieux n’a sous-entendu que Ruba propose un certificat de pureté où l’on tatouerait les bons immigrants d’une fleur de lys dans le bas du dos.
C’était simplement une évidence qu’on apprend sur la culture locale en côtoyant des gens de la société d’accueil. Mais tous ces mots-là comme « culture locale », « société d’accueil », « Québécois de souche » ou « néo-Québécois », si notre interlocuteur ne souhaite pas comprendre, il sera toujours possible de les connoter négativement et d’y associer de l’intolérance.
Le cas Chantal
Encore dans la même semaine de l’histoire Bedford, Chantal Hébert était panéliste à l’émission de Patrice Roy de Radio-Canada, et quand on posait la question sur pourquoi les parents n’avaient pas réagi plus fort après autant d’années à vivre les mêmes problématiques, Hébert nous expliquait que les parents ont plusieurs raisons d’en avoir plein les bras. Je paraphrase, mais en gros, elle expliquait que ce sont souvent des parents qui débarquent tout juste au pays. Un pourcentage ne parle pas la langue. Plusieurs ne sont pas encore outillés à savoir à quoi ils sont en mesure de s’attendre du système d’éducation québécois.
Plusieurs points pertinents qui nous permettent de mieux saisir une réalité, et comme Chantal Hébert est une journaliste fédéraliste qu’on respecte, on a encore collectivement fait le choix de la comprendre. Personne n’a tenté de prétendre qu’elle disait ça pour manger de l’immigrant. Elle disait ça par empathie et pour nous aider à comprendre.
Le cas PSPP
Comme je le mentionnais en intro, c’est lorsque PSPP a osé parler du concept de gens « issus de l’immigration » que nous sommes retombés dans nos travers. C’est que PSPP est un péquiste. Un indépendantiste. Il projette de faire du Québec un pays dès son premier mandat. Il prône une laïcité plus québécoise que canadienne.
Idéologiquement, ça lui fait plusieurs adversaires que Ruba Ghazal et Chantal Hébert n’ont pas. Des adversaires politiques, mais aussi des adversaires du monde médiatique. On s’accorde davantage le droit de lui attribuer plus ou moins gratuitement certaines étiquettes.
Sur cette tribune, je défend constamment les médias et leur importance pour notre démocratie, mais il faudrait se mettre la tête dans le sable pour ne pas remarquer la quantité d’intervenants dans nos médias qui travaillent plus ou moins subtilement à diaboliser le mouvement indépendantiste avec beaucoup de mauvaise foi.
Quand André Pratte essaie de détourner les propos du chef péquiste, tout le monde le voit arriver de loin, mais il y a d’autres fois où l’on souffre d’un mélange des genres. Quand c’est un Michel C. Auger que Radio-Canada présente toujours comme un fin analyste d’expérience rempli de sagesse qui est au-dessus de la mêlée et de la partisanerie, le public a moins de repères pour l’aider à filtrer le vrai du faux. Pourtant, le gars milite quotidiennement assez fort.
Tricoter jusqu’à l’ED
À La Presse, Nathalie Collard écrivait récemment une chronique qui illustre bien ce que je dénonce. C’est spectaculaire la quantité de démagogie qu’on pouvait retrouver dans son texte.
Elle commence par dire que le mot « entrisme » est nouveau, mais ensuite elle suggère que PSPP l’aurait emprunté à Mathieu Bock-Côté (le diable). Ensuite, on rappelle que Mathieu Bock-Côté (le diable) travaille aussi en France, où il est ami avec Éric Zemmour, de l’extrême-droite.
Et voilà! On a réussi à tricoter des liens jusqu’au point Godwin.
Moi qui suis de près PSPP depuis ses apparitions à Bazzo.tv, je percevais bêtement PSPP comme un premier de classe qui trippe sur les pays scandinaves, mais il était en fait un fanatique de l’extrême-droite française de Zemmour depuis tout ce temps! Une marionnette manipulée par Mathieu Bock-Côté (le diable) de CNEWS et du clan Bolloré!
Le pire, c’est que Collard revient tout juste d’un voyage au Danemark où elle a tout adoré sauf… le bout qui confronte ses valeurs sur, encore une fois, la gestion de l’immigration.
Peut-être que Mathieu Bock-Côté (le diable) a étendu ses tentacules jusqu’au Danemark et que ça n’a aucun rapport avec cette obsession maladive et irrationnelle d’une partie de nos médias envers Mathieu Bock-Côté (le diable). </ironie>
Le prix à payer
Quand on s’accorde le droit d’interpréter chaque mot d’une façon démagogique avec ces sujets-là, il devient hyper facile de diaboliser n’importe qui. Même les phrases les plus inoffensives et bienveillantes peuvent être spinnées comme du dog-whistling pour la partie la plus immonde de l’électorat.
Personne ne peut survivre bien longtemps à ces procès d’intention avec sa réputation intacte. On peut tricoter n’importe quoi. Je peux m’auto-canceller en quelques phrases.
« Quand Chandonnet utilise l’expression néo-Québécois, n’est-ce pas le signe clair qu’il ne considère pas les immigrants comme de réels Québécois? Il trace une ligne claire entre les vrais Québécois et les faux Québécois. Une genre de sous-race. Oublie-t-il qu’il est question d’êtres humains qui ne souhaitent que vivre dignement? D’ailleurs, savez-vous qui d’autre considérait certaines personnes comme des citoyens de seconde zone? Je vais vous donner un indice, ça se passait autour de 1939. »
Il n’y a rien de plus facile! Ça peut mettre n’importe qui sur la défensive. Ça peut aller chercher quelques « high fives » sur le coup. Mais quand on se fait plaisir avec ce type de démagogie, il y a un prix collectif à payer.
C’est le type de dynamique qui mène à la situation américaine où la polarisation est telle que la discussion intelligente est devenue impossible. La campagne se passe exclusivement sur du spin et du salissage. On déshumanise l’adversaire et les deux clans vont justifier leur toxicité jusqu’à la guerre civile.
Alors qu’il existe déjà en masse d’intolérants dans le monde, je remarque aussi tous les efforts que font certains pour s’en inventer. Dans leur vision du monde, c’est comme si tout le monde était secrètement un nazi. Il n’y a qu’eux et trois-quatre de leurs chums à être du bon monde.
Est-ce qu’on peut se calmer un peu? Ce n’est tellement pas ma vision du monde.
Au contraire, quand des gens voient autant de noirceur chez autant de monde, ça en dit souvent plus sur eux que sur le monde. D’ailleurs, vous remarquerez, ça vient très souvent de gens qui sont du genre à garrocher un paquet de boomerangs de leur belle maison de verre.
J’aimerais conclure en rappelant qu’un des facteurs qui a causé autant de laxisme dans l’histoire de Bedford, c’est que trop de gens dans la chaine ont préféré se taire et se fermer les yeux par peur de se faire étiqueter comme des intolérants. Je nous souhaite donc de se rappeler des conséquences concrètes à ces accusations gratuites sur notre société. Et ce, pour plus que deux jours.
Excellent et très fin commentaire sur l'art de diaboliser mine de rien par certains médias multiculturalistes. Merci.