Je découvre Gabriel Nadeau-Dubois en même temps que tout le monde au Printemps érable en 2012. Même si parmi les trois prodiges du mouvement étudiant, j’ai tendance à être plus Martine Desjardins, je reste admiratif de GND. Il est déjà clair qu’il représente un orateur d’exception. Je trouve aussi qu’il fait pitié parce que je le sens parfois obligé de défendre des positions d’idéalistes plus crinqués que lui. Des crinqués qui eux, n’ont jamais à affronter les mêlées de presse, les kodaks et toute la pression qui vient avec.
Quelques années plus tard, je suis bien content de le voir s’amener dans la vraie politique partisane. En plus, c’était suite à une initiative avec Jean-Martin Aussant que je respecte beaucoup.
Il se présente dans Gouin, mon comté, où il remplace Françoise David pour qui j’ai déjà voté quelques fois, même lorsqu’elle ne gagnait pas les premières fois. Il faut dire qu’à part la courte épopée d’Option nationale, ce sont des années difficiles pour être indépendantiste. Avec la question nationale laissée en arrière-plan, je suis juste content de pouvoir cocher le nom d’une personne de qualité. Mme David me permet de ne pas avoir l’impression de gaspiller mon vote.
Cependant, Québec solidaire a déjà un profil très clair : un parti idéaliste d’opposition qui sera là pour relayer les positions des plus négligés de la société. Comme Pierre Falardeau l’a bien imagé, c’est un parti de soupe populaire. Du communautaire.
Je suis donc surpris qu’un jeune homme ambitieux choisisse ce véhicule politique. Peut-être est-ce le parti le plus populaire de son entourage? Peut-être est-il encore trop jeune pour se soucier des histoires de prendre le pouvoir? Peut-être se dit-il que le Québec se laissera à nouveau porter par une vague orange comme au fédéral en 2011?
(D’ailleurs il partage aujourd’hui ses bureaux (et plusieurs militants) avec Alexandre Boulerice du NPD.)
Sauf qu’à ma grande surprise, Nadeau-Dubois devient assez rapidement un politicien à l’ancienne. En plus de son usage fréquent d’une démagogie qui me fatigue, il ne parle à peu près jamais d’indépendance. Pire, les questions sur le sujet semblent représenter pour lui l’équivalent d’une visite chez le dentiste où on lui drillerait une palette. Pire de pire, les rares fois où il se permet d’aborder la question, c’est souvent plus pour tirer dans les jambes du mouvement, digne des meilleurs fédéralistes. Fédéralistes qui l’apprécient beaucoup, d’ailleurs.
J’essaie tout de même de lui trouver des excuses. Où se trouve l’ami d’Aussant dans tout ça? Peut-être est-ce une décision stratégique parce qu’il est pogné avec une base militante très divisée sur la question. Après tout, il n’est qu’un porte-parole. Peut-être souhaite-t-il en parler davantage, mais qu’on lui demande de porter une autre parole que celle-là.
Certains analystes disent même qu’en privé, il est très nationaliste, ce qui m’étonne beaucoup, parce que son personnage public est très loin de ça. J’arrive encore à m’imaginer l’homme du temps de son asso étudiante de crinqués. Un gars pogné à défendre des positions différentes des siennes bien malgré lui, mais qui demeure convaincant quand vient le temps de les défendre comme si les positions étaient les siennes.
Il faut dire que QS est une bibitte assez spéciale. Un bon exemple de ce que GND et Massé doivent gérer au quotidien est bien illustré dans ce texte de vendredi dans Pivot.
https://pivot.quebec/2024/05/02/le-menage-du-printemps/
Aussi, ce ne sont pas les porte-paroles qui ont le pouvoir. Lorsque le PQ à moitié mort de Lisée ose offrir à QS un pacte de non-agression, GND et Manon Massé acceptent, mais les instances de QS les feront revenir sur l’entente, ajoutant encore plus de colère et de rancoeur entre les deux bases militantes qui se détestent.
Quelques années plus tard, GND remplace Manon Massé comme leader en chambre. Rendu là, outre son aura du cool kid des carrés rouges qu’on continue d’admirer/détester selon le poste qu’on écoute, on ne distingue plus vraiment Nadeau-Dubois des autres politiciens. Il a même une petite barbe pour bien appuyer sur le fait qu’il soit maintenant un père de famille responsable bien loin de l’adolescent qu’on a connu. Mais même si QS a toujours la même misère à dépasser son 15 %, il peut se convaincre qu’éventuellement, le pattern de l’alternance va lui sourire.
C’est son destin.
Sauf qu’au contraire, même avec le PLQ et le PQ sur le respirateur artificiel, François Legault a le beau jeu de choisir QS comme principal adversaire. Alors que QS aime bien défendre les minorités, Legault défend la majorité, avec les résultats électoraux propres à ces choix respectifs.
Même avec toutes les décisions douteuses de la CAQ et l’inflation qui ébranle tous les partis au pouvoir dans le monde, GND marque très peu de points. L’électorat ne voit aucune alternative valable à la CAQ qui demeure en territoire bien majoritaire.
Arrive Paul St-Pierre Plamondon.
Pour un militant indépendantiste, c’est comme de recommencer à respirer. Pour Nadeau-Dubois, c’est un peu l’inverse. Même si PSPP est loin d’avoir ses qualités d’orateur, mais il se marque de par son intelligence, son coeur et ses arguments sentis. Bien qu’on se rappelle de GND durant le Printemps érable, PSPP est l’avocat qui défendait ces mêmes étudiants à l’époque, ce qui donne un peu à Saint-Pierre Plamondon le casting d’adulte dans la pièce. Tout ça relègue GND à son ancien casting de petit frère révolutionnaire qu’on prend moins au sérieux et ce, malgré sa barbe parfaitement entretenue.
Contrairement à QS qui se concentre à s’installer un par un dans des comtés urbains, le PQ de PSPP grimpe comme la marée partout au Québec. En plus de voir son rêve d’alternance s’éloigner, GND remarque combien les trois-quatre députés péquistes lui volent constamment l’attention des médias. Plus agiles, ils arrivent toujours à rebondir sur les évènements en quelques minutes alors que lui doit continuer d’aller consulter ses instances pour chaque déclaration.
Comble de malheur, Catherine Dorion l’assassine dans son livre, tout juste avant un rassemblement solidaire. Contesté pour la première fois dans son leadership, GND parle avec son coeur. Il explique que ce qui le mène en politique, c’est d’aider le pauvre monde. On sent qu’il aurait préféré être un député à la Manon Massé qui aide les gens de son quartier. Sauf que ça clashe avec l’image du politicien qu’on voit au quotidien.
Plus que jamais, je me demande : qui est le vrai GND?
le carriériste prêt à adopter les codes du système afin d’atteindre le pouvoir
le pauvre gars toujours pogné à défendre les plus crinqués de son parti
le gars très communautaire qui aimerait juste pouvoir faire sa petite affaire
toutes ces réponses?
Chaque fois qu’il affronte le chaos et qu’on le remet en question, la presse admire son aplomb, alors que moi, je suis un peu étonné par le niveau de calcul politique. On répète qu’il est très ébranlé à l’interne, mais ces émotions, je un peu de mal à les ressentir.
C’est ensuite au tour d’Émilise Lessard-Therrien de claquer la porte, elle qui s’était clairement affirmé « Équipe Dorion » quelques mois auparavant. Même cible : GND. Sauf que suite à une journée de réflexion, Nadeau-Dubois revient plus fort que jamais. Il transforme cette crise de leadership en ultimatum pour une réforme complète de son parti. Une manœuvre de judo politique digne de House of Cards.
Est-ce que choisir Québec solidaire comme véhicule politique représentait une erreur? On a souvent l’impression que GND collerait plus avec le Parti québécois de Paul St-Pierre Plamondon, mais avec son âge, disons que Nadeau-Dubois n’a pas grandi durant les meilleures années du Parti québécois.
Juste penser au logo semble lui lever le coeur, et on peut le comprendre.
On se doute qu’il n’était pas un grand fan de la Charte des valeurs de Bernard Drainville, des gros compromis idéologiques de Pauline Marois (comme Première Ministre), les années Boisclair ou de Voldemort-PKP. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le PQ était en chute libre et changeait de chef tous les deux ans durant toutes ces années. C’était l’hécatombe.
Au lieu de se joindre à cette longue traversée du désert, GND a choisi une autre option avec plus d’espoir. Sauf qu’aujourd’hui, il se retrouve dans un autre désert.
Maintenant quelques jours suite à son audacieux pari, GND semble encore bien seul dans sa volonté de réforme. Il a un certain appui de son caucus, rempli d’autres élus qui ont pris le même risque que lui de mettre leur face sur un poteau, mais tout le reste de la famille solidaire semble contre tout changement à son système démocratique très horizontal. Autant les vétérans comme Khadir, David et Massé que les décideurs de l’ombre. Il faut dire que pouvoir prendre des décisions dans l’anonymat et laisser des élus aller au bat pour défendre ses idées et subir toute la pression, ça représente un peu le poste idéal dans une démocratie.
Si GND échoue dans cet ultime tentative de réformer son parti, qu’adviendra-t-il de sa carrière politique?
A-t-il trop brulé de ponts avec le PQ pour se joindre à l’équipe PSPP?
Choisira-t-il l’avenue des médias en allant rejoindre les panels radio-canadiens et les émissions de Marie-Louise Arsenault?
Ira-t-il diriger un organisme qui contribuera à résorber la crise du loyer?
Est-ce que Patrick Lagacé sortira une autre de ses fameuses chroniques pour l'inviter à la chefferie du PLQ?
Alors au final, qui est le vrai GND? C’est l’avenir qui nous le dira.
Pas besoin de s'appeler Esmeralda la diseuse de bonne aventure pour deviner ce qui va arriver:
QS va manger une volée à la prochaine élection. Il va quitter son poste de porte-parole et s'en aller faire d'la radio sur Ici Première où il a déjà plein d'ami(e)s.
Excellente analyse.