À quoi ressemblerait la version 2023 de L'Osstidcho?
Mes réflexions suite au visionnement du documentaire à Télé-Québec
Le documentaire (et la courte balado) sont disponibles sur le site de Télé-Québec : https://www.telequebec.tv/documentaire/l-osstidquoi-l-osstidcho
C’est une question qui m’est restée dans la tête suite à mon visionnement du documentaire : à quoi ressemblerait une version 2023 de L’Osstidcho? Un spectacle légendaire où des artistes avaient vraiment des trucs importants à exprimer.
Selon moi, il y cinq éléments qui ont donné à L’Osstidcho sa place mythique dans notre histoire.
Une vision intransigeante
L’élément qui ressort quand on en apprend davantage sur la genèse du spectacle, c’est combien Charlebois était intransigeant sur sa vision du spectacle. C’est d’ailleurs un peu comme ça que le titre est né. Après s’être cogné trop souvent sur la tête dure de Charlebois, Paul Buissonneau a sacré son camp en les envoyant chier. Il n’était pas capable de les ramener dans le rang. Charlebois en tête, le quatuor d’artistes avait une vision qui n’allait pas être compromise.
Une vision moderne.
Charlebois revenait d’un voyage en Californie d’une Amérique qui, à l’époque, représentait le symbole de la modernité. Force est d’admettre que les choses ont bien changé depuis. Nul besoin d’être un adepte du Make America Great Again pour comprendre que la modernité des États-Unis de ces années-là a perdu son statut.
La proposition était si nouvelle que ça avait fait réaliser à Jean-Pierre Ferland que lui et les autres artistes cool du moment étaient soudainement devenus ringards.
De nos jours, quel pays pourrait être le porteur de cet espèce d’accès au monde de demain? Est-ce que ce pays existe?
S’approprier cette vision
Si Charlebois s’était contenté de copier les artistes américains de l’époque, l’impact de sa démarche aurait été beaucoup moins grand. Mais non seulement Charlebois s’est entouré d’artistes avec qui partager ses nouvelles connaissances, ils ont aussi transformé tout ça en quelque chose de profondément incarné dans la société québécoise.
Il faut dire que ça aide quand tu comptes dans tes rangs un diamant brut du calibre d’Yvon Deschamps qui aura juste besoin d’une petite poussée pour réinventer l’humour québécois.
Le joual a aussi été un élément important. Rappelons que Pierre Elliott Trudeau était cinglant à l’époque sur les artistes qui osaient s’exprimer avec la langue du peuple, une langue de « pouilleux », selon lui. D’ailleurs, on n’ose toujours pas traduire les films et les séries en vrai « québécois » parce qu’on trouverait encore que ça sonne cheap. De toute évidence, un complexe qui n’est toujours pas réglé.
Avoir l’opportunité que cette vision trouve son public
Ça prend du courage et beaucoup d’audace pour faire un spectacle où les gens quittent avant la fin parce qu’ils détestent ça. Mais quand on a mis tout son coeur dans une oeuvre, c’est quelque chose de terrible à vivre. Évidemment, faire quitter des gens d’une salle, c’est à la portée d’un peu tout le monde. Mais quand d’autres gens viennent remplir les bancs vides, c’est là que ça devient spécial. C’est un des exploits de L’Osstidcho. Non seulement les artistes étaient prêts à ce que leur ego se fasse charchuter par des spectateurs qui sacrent leur camp, mais ils étaient dans une situation où on allait (de bon coeur ou non) les laisser risquer le flop total.
Amener sa société plus loin
Et bien sûr, ce n’est pas tout d’être entendu par sa société, c’est aussi de l’amener plus loin. L’Osstidcho a exprimé en plein ce que le Québec de 1968 avait besoin d’entendre pour passer à la prochaine étape. Il a participé à son épanouissement dans une période qui était sûrement l’une des plus émancipatrices de son histoire. Qu’est-ce que le Québec d’aujourd’hui aurait besoin d’entendre pour passer à la prochaine étape? C’est une autre grande question.
Alors donc, à quoi pourrait ressembler une version 2023?
Selon moi, il a deux voies où ça pourrait aller : la voie woke ou la… non-woke. (À ne pas confondre avec les anti-woke qui penchent souvent fort dans le réactionnaire.)
Bon, je sais, l’expression woke est galvaudée et dès qu’il en est question, tout le monde se campe dans ses positions, mais ça reste représentatif d’un mouvement. (La plupart du temps, bien intentionné.)
Je vais être clair : je ne dis pas que le wokisme est le grand mal que L’Osstidcho 2023 devrait combattre. Je dis que pour créer L’Osstidcho, ça devra sûrement se faire en défonçant les contraintes qu’ont amené le wokisme.
Je m’explique.
On l’a bien compris dans les dernières années : d’un niveau artistique, il y a des oeuvres qui heurtent les sensibilités de plein de gens qui ont maintenant une voix alors on a maintenant droit au feedback d’un peu tout le monde. C’est positif à plein de niveaux, sauf que composer une oeuvre en tenant compte des sensibilités de chaque communauté et de chaque individu, je ne crois pas que ce soit compatible avec le trip de créer une œuvre coup de poing comme L’Osstidcho sur le LSD. Quand on fouille dans l’inconscient, ce qu’on y trouve n’est pas toujours lisse et politiquement correct.
D’ailleurs, mon bout préféré dans le documentaire, c’est le témoignage d’Adib Alkhalidey qui est souvent intéressant quand vient le temps de pousser une réflexion. Il parle de courage et il parle de créer quelque chose que tes chums ne comprendront peut-être pas tout de suite. Je suis d’accord.
C’est un peu ça que les artistes auront besoin de s’approprier : le bénéfice du doute. Un bout de corde. En ce moment, on a vraiment la gâchette rapide sur les procès d’intention, et c’est rarement pour prêter des intentions très nobles. Et ducôté de la création, quand on veut s’assurer de ne pas déranger personne, eh bien, on ne dit rien.
Il y a des artistes qui vont juste accepter les règles du moment et suivre le courant comme les Jean-Pierre Ferland de l’époque, mais on attend les artistes qui oseront apporter une nouvelle vision avec intransigeance, comme Robert Charlebois.
Mais quelle sera cette fameuse vision? On attend toujours la réponse, avec une certaine impatience.