La droite virile
Dans les dernières années, l’expression « mâle alpha » est devenue très populaire dans certains cercles masculins. C’est un phénomène sociologique qui s’est manifesté de différentes façons et question d’être moins abstrait, laissez-moi vous présenter quelques exemples de ce dont je parle, sous différents angles.
Trump
Trump s’est construit autour de l’image du mâle alpha. Alors que les médias ont investi beaucoup d’efforts à dénoncer toute l’étendue de son incompétence (bien réelle) et de sa mythomanie, ces facteurs n’ont jamais été déterminants pour ses partisans. L’élément qui compte, c’est sa virilité.
C’est sur cette fréquence-là que Trump score. Il bully ses adversaires. Il les insulte. Il les menace. Il valorise la violence physique. Il ne s’excuse jamais. Il ne pleure jamais. D’ailleurs, il vient souvent faire son tour dans les évènements de combats du UFC. Il y est acclamé, même s’il ne connait rien au sport.
Ses fans ne voudront jamais rien savoir d’une femme comme Clinton ou d’un vieil homme qui a l’air fragile et confus, comme Biden.
Joe Rogan
Bien avant les succès politiques de Trump, Joe Rogan est devenu un modèle pour des millions d’hommes.
En plus d’être physiquement bien en-dessous de la moyenne à 5’6”, Joe Rogan a grandi avec des daddy issues qui l’ont poussé à vouloir exprimer sa masculinité avec force.
Très jeune, il est devenu un expert en taekwondo et plus tard, dans plusieurs autres arts martiaux. Sa masculinité s’est aussi exprimée avec un amour des grosses voitures et le doux son du moteur à gaz. Il a développé une passion pour la chasse à l’arc qui lui permet de manger de la viande rouge qu’il abat lui-même. Sans oublier ses penchants pour les conspirations où il aimait bien croire qu’on nous cache l’existence des Yéti, avant de réaliser durant sa quarantaine que tout ça était finalement faux.
En soi, rien de tout ça n’est une mauvaise chose, mais cette masculinité très traditionnelle est venue combler un immense besoin chez un public masculin en perte de repères face à tout le chamboulement provoqué par la montée du féminisme et une plus grande égalité des genres.
Rogan en a profité pour leur vendre des pilules d’Alpha Brain et des altères avec des têtes de gorilles dessus. Pour quelques dollars, ils leur donnaient la possibilité de tous devenir des vrais mâles virils comme lui. Il a démocratisé les podcasts et tracé la voie à une armée d’hommes qui ont démarré les leurs, avec certains penchants (mascu, conspi et libertariens) en commun. Souvent sans la même ouverture que Rogan qui, malgré tous ses défauts, reste quelqu’un de parlable et ouvert aux différents points de vue.
La pandémie
Cet engouement pour la virilité s’est aussi manifesté lors de la pandémie. On aurait pu croire qu’une masculinité forte et traditionnelle aurait poussé ces hommes à faire le nécessaire pour contrer la contagion et protéger les leurs, mais ce serait de mal comprendre la dynamique.
Le mouvement ne repose pas sur une masculinité forte, mais sur une insécurité masculine forte.
C’est pourquoi, durant la COVID, la dynamique s’est plutôt construite sur l’idée que la COVID est un problème pour les faibles. Pour les moumounes. Devenir antivax et anti-mesures devenait donc une façon de démontrer l’inverse : qu’on n’est pas une chochotte.
« T’as pris quatre vaccins? Quelle lavette! Moi zéro! » (Avant de flexer ses pectoraux.)
Tout le discours s’est formé autour de cette logique. Un vrai mâle fort et en forme n’a rien à craindre de la COVID. Embarquer dans l’effort collectif et d’être solidaire des autres, c’est l’équivalent d’un coming out pour s’afficher comme homme beta. Un suiveux faible.
Le réchauffement climatique
Une autre manifestation de ce courant est de plus en plus évidente sous les commentaires des articles qui parlent de près ou de loin des changements climatiques.
Avant, on avait plein de petits monsieurs qui venaient dire que toute la science reliée aux changements climatiques était de la foutaise, mais à mesure que les changements sont devenus de plus en plus difficiles à nier, le discours s’est métamorphosé. On est donc passé des « petits monsieurs qui nient » aux « petits monsieurs qui n’ont pas peur ».
Sous chaque article qui aborde le sujet, ne serait-ce qu’une publication de MétéoMédia qui annonce que les températures du mois de juin dépasseront les normales de saison, on voit retontir tous ces petits monsieurs qui n’ont pas peur.
« Maudits médias qui veulent nous faire peur! Moi, j’ai pas peur! Regardez-moi bien aller faire des burns avec mon pick-up dans le parking du Wal-Mart! »
Les « passport bros »
Un des problèmes de ces hommes accrochés à cette version de la masculinité, c’est que les jeunes femmes modernes ne sont pas toujours séduites par cette caricature stéroïdisée de la masculinité. Les études américaines remarquent de plus en plus un fossé entre les jeunes femmes progressistes et les jeunes hommes conservateurs.
Lorsqu’un jeune homme rêve de recréer le bon vieux modèle patriarcal et qu’il n’arrive pas à entrer en relation avec les femmes de son coin (qui privilégient les dynamiques égalitaires), ça provoque pas mal de ressentiment.
(Pour un échantillon de ce ressentiment, je vous invite à faire quelques recherches sur comment les femmes sont traitées dans des univers très masculins comme celui des jeux vidéos.)
Suite logique des incels, les « passport bros » sont les hommes qui mettent les moyens financiers pour aller se repérer une concubine dans un pays dont la culture est moins avancée sur le plan social. Une genre de machine à voyager dans le temps vers des sociétés à la Mad Men où la femme accepte encore son rôle : poppeuse de bébés qui fait la cuisine.
« Elle est bien là-dedans! »
Il faut juste s’assurer que la femme ne socialise pas trop avec les voisines au risque de se faire corrompre.
Le mouvement libertarien
Si je parle de droite virile, c’est que ce mouvement est clairement associé à la droite. Il y a le côté conservateur qui est nostalgique du bon vieux temps et du modèle traditionnel, mais toutes les valeurs sont aussi très propices à une idéologie libertarienne et à une déconstruction de l’État
Le système de santé : c’est pour les faibles et les fragiles
Le système d’éducation : c’est pour les blue-pilled qui adhèrent au système
La répartition de la richesse : c’est pour les lâches qui n’arrivent pas à devenir de bons pourvoyeurs
Joe Rogan avec son arc, sa ceinture noire en jiu-jitsu et ses quelques centaines de millions de dollars, il n’a jamais besoin de l’État, lui.
On aime se rappeler des temps anciens comme l’ère des hommes des cavernes ou le temps des cowboys du Far-West où dans l’imaginaire collectif, tout se réglait à coup de révolvers faque le monde marchait drette!
La nostalgie d’une époque qu’on n’a jamais connu.
Une solution ?
Est-ce que ce phénomène de masculinité en panique est là pour durer ou est-ce un simple retour du balancier qui finira par s’essouffler?
Ce qui complique les choses, c’est qu’on vit dans une ère de mondialisation où l’influence américaine (une société beaucoup plus conservatrice que la nôtre) est immensément puissante et a tendance à nous tirer vers le bas.
Pour le moment, c’est peut-être un peu comme en thérapie où à la première étape, on doit souvent se contenter de reconnaitre le problème.