J’entendais la semaine dernière Nic Payne à QUB reprocher aux médias québécois d’avoir étiqueté le Rassemblement national comme un parti d’extrême droite alors que selon lui, si on se fie seulement à leur programme, on n’y reconnait pas un parti d’extrême droite.
Je me doute que certains seront en accord et d’autres en désaccord avec cette affirmation, mais ce que j’aimerais communiquer en premier, c’est combien se fier exclusivement au programme, ça a ses limites.
Bien sûr, on doit se fier au programme. Je souhaite un parti qui présente sa vision et je veux connaitre ce qu’ils prévoient pour quand ils prendront le pouvoir. Mais avant toute chose, je désire connaitre les individus.
Je veux comprendre quel genre de personne ils sont.
Je veux connaitre leur cœur.
Un parti au pouvoir
Ce que néglige les électeurs pour qui les programmes font foi de tout, c’est le nombre de décisions et d’événements qui surviennent dans le quotidien d’un gouvernement.
Est-ce qu’il était question de pandémie dans les programmes politiques des partis au pouvoir? Zéro. Au Québec, on avait François Legault qui réagissait quotidiennement selon le type de personne qu’il est, avec le bon et le mauvais. En tant que population, il ne nous restait qu’à espérer que nous avions voté pour la bonne personne et surtout, qu’il serait bien entouré.
Ensuite, quand la CAQ s’est débarrassée de Sophie Brochu à Hydro-Québec ou a mis des milliards dans Northvolt, est-ce qu’on avait discuté de ça dans le programme? Absolument pas. Une fois au pouvoir, le gouvernement prend des centaines de décisions selon leurs valeurs et leurs intérêts. Ils placent des gens dans une multitude de postes dont l’importance varie.
Avant l’élection de Donald Trump, je me rappelle que plusieurs électeurs avaient l’intention de voter pour lui comme pour donner un coup de pied dans la ruche. Ce serait un petit quatre ans où ils allaient s’en débarrasser après. Sauf que durant son mandat, Trump a nommé plusieurs nouveaux juges aux valeurs rétrogrades à la Cour Suprême. Juste avec ce petit geste-là, ces quatre années continueront d’avoir des répercussions désastreuses pendant des décennies.
L’invention du mensonge
N’oublions pas non plus qu’il est possible… pour les politiciens d’être… inventif au niveau du marketing.
Dans les derniers mois, on a vu Gabriel Nadeau-Dubois travailler fort pour que son parti retire certains éléments de sa plateforme parce qu’il trouve ça difficile à défendre en campagne électorale.
De l’autre côté du spectre, Éric Duhaime est un libertarien, mais il est bien conscient qu’il ne se fera pas élire avec sa réelle vision de société, alors il présente un programme qui plaira davantage à des conservateurs classiques.
Quand je disais en intro que je veux connaitre leur coeur, Éric Duhaime est un bon exemple. Éric est dans nos médias depuis 15-20 ans. Je sais quel type de société il souhaite. Je connais très bien ses valeurs. J’ai bien compris ce qui le drive comme personne. Même s’il proposait le meilleur programme du Québec moderne, jamais je ne voterais pour quelqu’un comme lui.
Cela dit, il y a une méchante différence entre un parti qui souhaite être plus marketing, un parti qui souhaite y aller par étape, et un parti loup qui se déguise en grand-mère.
La mauvaise transposition
Depuis les élections en France, je remarque quelques militants indépendantistes tomber dans le piège de l’extrême droite. Comme Payne, ils défendent que sur papier, le Rassemblement national ne serait pas d’extrême droite.
Une erreur qu’on a tendance à faire de notre point de vue québécois, c’est d’essayer de transposer nos dynamiques locales à celles de la France.
On a sûrement tous la même tendance lorsqu’on regarde une autre société. On essaie de faire des liens. Trouver quel parti équivaut à quel parti là-bas. On tente de transposer les clans alors que ce sont souvent deux sociétés qui sont très différentes.
Il faut dire qu’au Québec, quand on est indépendantiste, le camp fédéraliste travaille constamment à nous dépeindre comme des gens motivés par l’intolérance et l’exclusion. Le double standard est très clair. Quand il s’agit d’un indépendantiste, on se met rapidement au tricot et on fait des amalgames.
Si un Canadien de la Saskatchewan souhaite rabaisser les seuils d’immigration, ce sera une posture respectable, mais si un indépendantiste souhaite 35 000 immigrants plutôt que 50 000, ce sera une première étape vers l’immigration zéro propre à l’extrême droite. Si un indépendantiste souhaite une laïcité différente de celle du monde anglo-saxon, on ne tentera même pas de comprendre l’histoire singulière du Québec face à la religion. On ne fera que regarder l’enjeu d’un angle où le but serait d’écraser une minorité, très typique de l’extrême droite.
Pour un indépendantiste qui milite depuis un moment, ces doubles standards constants et ces accusations cheap finissent par devenir une sorte de bruit de fond, car si un indépendantiste s’arrête à tous ces procès d’intentions et cette mauvaise foi, il passera sa journée sur la défensive à s’excuser, à désamorcer et à condamner des propos.
Le seul type d’indépendantiste que les fédéralistes tolèrent, c’est un indépendantiste à la GND. Et pourquoi est-il parfait? Parce qu’il n’en parle jamais.
J’explique tout ça parce que, lorsqu’un indépendantiste regarde la France de loin et remarque qu’on accuse le RN d’extrême droite, il est possilbe qu’il y reconnaisse notre dynamique canadienne. Ce sont encore des adversaires politiques qui tentent de salir le camp adverse avec des étiquettes disqualifiantes. Sauf que de l’autre bord de l’Atlantique, c’est réellement de l’extrême droite.
Le néofascisme avec un sourire
Je m’excuse d’avance pour les quelques liens externes, mais je vous les recommande.
Il est important de réaliser que le Rassemblement national vient du Front national dont la création incarne de façon immensément claire le genre de mouvement qu’on souhaitait créer.
Côté programme, le RN a tout intérêt à nous présenter une version soft et édulcorée, mais il serait bien naïf d’oublier ses origines. Je recommande aussi cet épisode de Ça s’explique sur la vedette montante du parti, Jordan Bardella (alias « le facho souriant »), qui avait sa carte du Front national dès l’âge de 16 ans.
Il y a aussi toute cette histoire entre Marine Le Pen et l’argent russe qui s’ajoute à son profil bien mérité d’infréquentable.
Le couvercle sur la marmite
Tout cela étant dit, il y a un aspect sur lequel on peut tracer un certain parallèle entre le Québec, la France et plusieurs autres sociétés en occident : la discussion autour de l’immigration.
On sous-estime l’impact d’accuser de racisme quiconque ose émettre des critiques sur les politiques d’immigration pendant des années. Il y a une grande partie de la population qui accumule des inquiétudes depuis un bon moment et bien souvent pour de bonnes raisons.
Je suis loin de nier qu’il existe de la xénophobie et du racisme au Québec et partout sur la planète. Ce serait vraiment bête, ignorant et aveugle de prétendre autre chose. Même sans immigration, j’ai grandi à Amos, une petite ville située juste à côté de la réserve de Pikogan en Abitibi. Le racisme quotidien qui existe dans la population n’est pas quelque chose qui est difficile à remarquer.
Sauf qu’avec l’immigration, on a tendance à couper les coins ronds. Sous prétexte qu’il existe du racisme, on aimerait placer toute critique contre les stratégies d’immigration de nos gouvernements comme des manifestations de racisme qu’on doit simplement faire taire.
C’est très court, et surtout, c’est très dangereux. Il y a des raisons tout à fait légitimes d’être préoccupé en ce moment en tant que Québécois.
Au fédéral, on nous impose cette ambition de grimper le pays à 100M d’habitants (un autre truc qui n’était nulle part pas leur programme) qui ne tient absolument pas compte de l’effet sur le poids démographique du Québec dans le Canada, la situation précaire du français, la situation avec le logement, etc.
Au provincial, on a la CAQ (un autre parti qui souhaite faire plaisir au patronat) qui lors des élections nous parlait qu’il serait suicidaire pour la langue d’élever les seuils d’immigration et pourtant, une fois au pouvoir, ils font exploser l’immigration temporaire par centaines de milliers.
S’ajoutent à ça des histoires comme Roxham où ça entre par dizaines de milliers, d’une manière très concentrée au Québec, et trop souvent, la principale réponse qu’on réserve aux citoyens qui s’inquiètent, c’est que leurs préoccupations viennent de leur intolérance et on les étiquète comme de mauvaises personnes.
Ce grave manque d’écoute fait augmenter la pression et ça me préoccupe au plus haut point. La polarisation augmente, et graduellement, une fois que tous les partis bien intentionnés n’osent plus remettre en question le moindre enjeu migratoire au risque de se faire diaboliser, la population finit par se tourner vers l’extrême droite.
« On ne les a pas encore essayés, ceux-là! »
Le piège de l’extrême droite
On l’entend beaucoup en France. Une bonne partie de la population a l’impression d’avoir donné une chance à un peu tout le monde sauf à l’extrême droite. Et même si je peux comprendre la logique, donner une chance à l’ED, ce n’est pas comme la vague orange où dans un élan de candeur, le Québec a donné une chance au NPD de Jack Layton. Lorsque l’extrême droite prend le pouvoir, on ne sait jamais si elle le redonnera, ou dans quel état.
Il y a plusieurs angles via lesquels l’extrême droite s’attaque à la démocratie.
Centralisation du pouvoir : Les gouvernements d'ED cherchent souvent à centraliser le pouvoir autour d'un leader fort, diminuant ainsi les contrepoids qui sont essentiels à une démocratie en santé.
Affaiblissement des institutions démocratiques : L’ED attaque constamment l'indépendance du pouvoir judiciaire, les médias, les libertés civiles. Toutes des choses qui affaiblissent les fondements de notre démocratie.
Répression de l'opposition : L’ED adore les tactiques de répression contre ses opposants politiques. On tombe dans les arrestations arbitraires, l'intimidation et la suspension/suppression de la liberté d'expression. (« Lock her up! »)
Nationalisme et exclusion : Une rhétorique ultra nationaliste et xénophobe peut mener à l’exclusion et à un climat où l’on devient de plus en plus à l’aise d’éliminer tout ce qui détonne de ce que l’on considère représenter le « vrai » groupe.
Manipulation électorale : L’ED peut tenter de manipuler les processus électoraux pour rester au pouvoir, par exemple en modifiant les lois électorales à leur avantage ou en inventant toutes sortes de théories pour décrédibiliser les résultats qui ne font pas leur affaire.
Pour les gens qui s’intéressent aux manifestations de l’extrême droite ou à la politique américaine, il faut absolument regarder le segment de l’émission de John Oliver où il parle du Projet 2025 de Donald Trump. Trump prétend que ce n’est pas dans son vrai programme, mais il faudrait être d’une naïveté olympique pour le croire.
Comme la vidéo YouTube est géolimitée à l’auditoire américain, je vous partage le lien vers un tweet de la vidéo.
https://x.com/davidhogg111/status/1810308909053153334
Quand l’extrême droite s’empare du pouvoir, ce n’est pas seulement une histoire de pâte à dent qui est sortie du tube. Ça ressemble plus à un film d’horreur des années 50 où la pâte à dent prend vie, s’étend partout sur le comptoir, le miroir et les murs, pendant que le citoyen regarde tout ça, ligoté dans le bain.
Rendu là, le programme préélectoral, ça ne compte plus pour grand-chose.
Je suis impressionné par cette chronique très lucide. Bravo
Survol très cohésif et articulé, Éric.