Sur les réseaux sociaux, il y a deux camps qui s’affrontent concernant la langue. Il y a :
A) les gens qui croient que le Québec (et surtout Montréal) s’anglicisent
B) les gens qui croient que tout va bien et qu'on se plaint pour rien
Comment les deux clans peuvent arriver à des conclusions aussi différentes considérant qu’ils utilisent à peu près les mêmes statistiques et les mêmes sources?
C’est plutôt simple : les deux clans ont des valeurs différentes.
Dans le Clan A, on souhaiterait que ça se passe en français au Québec. Qu'on vive en français. On souhaiterait que ce soit la langue sociale, la langue qui nous unit, la langue culturelle, etc.
Dans le Clan B, on souhaiterait que tout le monde soit à peu près capable de se débrouiller en français dans les cas où ça pourrait être nécessaire.
C'est très différent comme vision du Québec. Les deux clans n’ont donc pas la même vision pour certains profils type tels que. :
Le semi-bilingue anglophone
La personne qui s’exprime toujours en anglais sauf lorsqu’il tombe sur une rare personne (à Montréal) qui ne comprend pas l’anglais. Pour le Clan A, c’est un pas de plus vers l’anglicisation. Pour le Clan B, il n’y a aucun problème.
La maison anglophile
À la maison, tout le monde vit en anglais, même s’ils connaissent tous parfaitement le français et peuvent passer d’une langue à l’autre sans problème. Pour le clan A, c’est un pas de plus vers l’anglicisation. Pour le Clan B, c’est une belle preuve du formidable bilinguisme et on devrait laisser le droit aux gens de parler la langue qu’ils veulent à la maison. (Un droit qu’absolument personne ne conteste.)
Le néophyte et le Michael Rousseau
Le néophyte a l’intérêt d’apprendre la langue alors éventuellement, il va se joindre à la culture francophone, tandis que le Michael Rousseau peut habiter ici pendant 30 ans et marier une francophone, il ne verra jamais l’utilité d’apprendre la langue. Dans le Clan A, on mélange souvent le néophyte et le Michael Rousseau, ce qui fait que quelqu’un va se fâcher à tort contre le pauvre gars du Uber Eats qui vient d’arriver au pays et qui ne maitrise pas encore la langue. Ensuite, le Clan B pourra dépeindre le Clan A comme des intolérants.
Bref, c’est mon premier point : on ne s’entend pas sur le constat parce qu’on a des valeurs différentes. Des projets de société différents. Quand le Clan A arrive sur une app de rencontre, il est surpris que le ¾ des fiches soient en anglais. Pour le Clan B, c’est juste formidable qu’autant de gens soient « ouverts sur le monde » et ils vont faire pareil.
Le deuxième point que j’aimerais faire, c’est qu’on manque de vision d’ensemble et on focalise trop souvent sur les mêmes trucs.
Trop souvent, surtout avec la CAQ, on met tout le fardeau de la préservation du français sur le dos de l’immigration. Et même si l’immigration est assurément un facteur dans l’équation, c’est loin d’être le seul.
Déjà, on ne parle souvent que du chiffre qui représente l’immigration économique et les réfugiés. On s’obstine lors des élections à savoir si on en veut 40 ou 80 000 et on se dit que sur huit millions d’habitants, c’est raisonnable. Sauf qu’on oublie des trucs.
Liste des trucs qu’on ne mentionne pas suffisamment :
- Les immigrants restent en très grande majorité à Montréal. De 85 à 90%!! Quand on sort des chiffres et qu’on calcule des trucs, on devrait le faire sur une base montréalaise parce que c’est là que ça se joue. Personne n’a peur que le Saguenay s’anglicise.
- Alors qu’on parle des 50 000 immigrants qui arrivent chaque année, on parle très rarement des 290 000 immigrants temporaires. Encore une fois, très majoritairement à Montréal.
- Il y a plus d’Ontariens qui viennent au Québec que de Québécois qui vont en Ontario. Évidemment, ces gens-là ne comptent pas comme des immigrants, et comme les loyers sont souvent moins chers à Montréal qu’à Toronto et qu’on peut très bien y vivre en anglais, plusieurs viennent habiter ici.
- Il y aussi les trucs que la CAQ ne veut pas toucher parce que ça leur ferait perdre des votes, comme la loi 101 au cégep. La CAQ aime bien les solutions qui ne touchent pas ses électeurs. Mais si des parents des banlieues et des régions ne peuvent plus envoyer leurs enfants aux cégeps en anglais, c’est en plein dans leur base électorale.
- Un autre truc qui est un immense facteur, c’est la valorisation de notre culture. Notre culture est sous-financée et si on ne fait que forcer les gens à parler français avec des lois contraignantes sans rendre la culture intéressante, on va venir à se demander ce qu’on a de si important à préserver.
Et il est là le principal danger : que la culture francophone devienne une culture désincarnée. Que tout le monde vive en anglais au possible, même s’il connait très bien le français. Une fois qu’on aura atteint cette étape, le poids politique pour préserver la langue s'évaporera rapidement. Et de toute façon, rendu là, il n’y aura plus grand-chose à perdre puisque l’essentiel sera déjà perdu.
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