Ce que j’apprécie de mon retour à l’informatique suite à plusieurs années comme auteur et scénariste, c’est que je me sens plus libre de critiquer le système sans craindre de nuire au financement de mes projets ou me faire accuser de « prêcher pour ma paroisse ».
Cette semaine, j’écoutais Nathalie Petrowski à la Bande des 4 durant l’émission de Pénélope à Radio-Canada. Elle parlait d’une bonne série télé québécoise et elle était déçue que la série ne soit que 10 épisodes alors qu’elle en aurait voulu 22. Elle voyait ça comme un signe que les temps sont durs pour le financement.
Sauf que non.
En fait, oui.
Parenthèse sur le financement
Les temps sont clairement durs. C'est juste incroyable à quel point on sous-finance notre culture dans ce pays. Non seulement on la sous-finance, mais pire, l’opinion publique est sous l’illusion qu’on la sur-finance.
Je vous colle quelques chiffres qui peuvent paraitre lourds mais c’est assez simple. On montre les pays et le montant de financement par habitant de leur diffuseur public. Pour le Canada (CBC & Radio-Canada), on se trouve à 26,51$.
Comme vous pouvez voir, le Canada est un cancre dans le domaine. La France ou le Royaume-Uni, en plus de pouvoir faire des économies d’échelle grâce à leurs populations plus grandes, ils investissent tout de même le triple (81$ et 76$) que le Canada par habitant.
Ici, on a le très mauvais réflexe de se comparer aux États-Unis qui, avec un famélique 3$ par habitant, laisse absolument tout le terrain aux diffuseurs privés, avec les résultats que l’on connait. Juste sous l’angle de l’information, rares sont les pays qui sont plus mal informés que les Américains. Leurs chaines de nouvelles sont des victimes absolus du capitalisme à l’extrême, ce qui donne beaucoup de sensationnalisme et une population mal informée, hyper polarisée et qui a de plus en plus de difficulté à distinguer le vrai du faux.
En plus, au Canada avec ses deux langues, on doit tenir compte que la tarte est séparée entre la CBC et Radio-Canada, même s’ils sont regroupés ensemble dans le tableau. Le côté anglo et le côté franco doivent se battre pour leur part du gâteau alors que leurs résultats sont radicalement différents. Dans le tableau, on fait la moyenne pour dire que l’auditoire est (très bas) à 5.1%, sauf que dans la réalité, c’est CBC qui fait chuter la moyenne alors que Radio-Canada score (assez fort) autour de 25%.
Comme les anglo-canadiens regardent surtout la télé américaine, les cotes d’écoute de la CBC sont catastrophiques. Et ç’a des répercussions au niveau politique. Les Conservateurs promettent de couper encore plus le financement de CBC avec l’intention de finir par l’abolir.
Pierre Poilievre prétend qu’il laissera Radio-Canada exister de son côté, mais même si on veut être naïf et le croire pour le moment, pendant combien de temps le Canada anglais acceptera de financer un diffuseur public aux francophones alors qu’il ne s’en paie même pas un pour lui-même?
Poser la question est y répondre.
Quand je parle du déclin démographique du Québec (et des francophones) dans le Canada, voilà un autre exemple concret des conséquences. La perte d’influence est réelle et pour chaque enjeu, il y a un coût à payer.
Bien sûr, les militants libéraux vous diront que la solution, c’est de garder le parti libéral au pouvoir pour toujours, sauf que les Libéraux sont très loin d’investir beaucoup et de toute façon, la population canadienne a d’autres plans. Dans les derniers sondages, le Canada hors-Québec souhaite à 52% (!!!) un gouvernement conservateur.
Bref, immense parenthèse pour dire que le sous-financement est un problème réel et qu’il est urgent que la population et nos gouvernements réalisent l’importance d’avoir un diffuseur public fort. On doit commencer à financer notre culture à un niveau décent.
Mais revenons à la quantité d’épisodes
Une série télé n’est pas meilleur parce qu’elle possède 24 épisodes par année. Au contraire, c’est l’ancien modèle de télé où l’on souhaitait créer des petits rendez-vous hebdomadaire chaque mardi à 20h avec quatre-cinq blocs publicitaires.
Sauf que même les élites mondiales comme Netflix, HBO ou Disney, avec tous les milliards du monde, créent des séries à 8-10-12 épisodes par saison. Et bien souvent, à part des univers avec des histoires hyper riches basés sur des bouquins très denses à la Game of Thrones, il y a presque toujours des épisodes de trop.
Sans compter qu’aux États-Unis, ils adoptent un modèle avec des équipes d’auteurs (writers room), alors qu’au Québec, c'est la plupart du temps la même personne qui écrit tous les épisodes. Alors à moins d'être une exception générationnelle crinquée à la Luc Dionne qui est capable de chier 200 épisodes par année, ça donne juste un produit moins bon avec des saisons plus slaques.
D’ailleurs, un aspect négatif et non-négligeable de ce type de télé, c’est que le public à qui l’on sert constamment de la saucisse, il s’habitue à manger de la saucisse. Quand on lui sert autre chose, comme du contenu plus riche qui exige un autre niveau d’écoute, il n’est pas habitué.
Je comprends qu’en ce moment, les quotidiennes sont un excellent succès d’auditoire alors nos diffuseurs en mode survie y sont accrocs, mais dans le ratio entre la quantité et la qualité, j’aimerais qu’on redresse nos fictions d’une coche ou deux vers la qualité.
Et bien sûr, avec le financement que ça requiert.
C’est un peu comme la différence d’expérience entre les places de crème en glace.
Il y a l’option McDo qui dépanne à moins cher et qui donne le même brain freeze que partout ailleurs.
Puis, il y a l’option Iconoglace où t’as l’impression que ta vie vient de changer à tout jamais.
(Publicité complètement gratuite.)
De toute façon, pour remplir du temps à faible coût, on a déjà les balados, et le privé pourra toujours continuer d’inventer 4000 concepts de télé-réalité.
J’adore la comparaison Mcdo/Iconoglace. Ça se peut que je te la pique ;) Cela dit, l’attrait pour les minisérie (limited series) de 8-10 épisodes, parfois moins, vient aussi des exigence du marketing. Les plateformes veulent avoir plus de nouveautés à présenter, plus souvent, car contrairement à la télé traditionnelle, l’abonné qui n’a pas l’impression de voir beaucoup de nouveautés, et qui a fait le tour de l’offre, ou qui ne s’intéresse pas à LA série dont tout le monde parle, va aller ailleurs, voire se désabonner pendant un moment. D’où cette idée de se rapprocher du cinéma pour lancer des séries plus courtes, plus régulièrement, un peu comme on commercialise les films. Tu as raison, les plateformes changent en profondeur la façon dont on crée le contenu télévisuel. Le médium, c’est le message.