Trop souvent, il y a un clash entre les opinions que possèdent le peuple et ce que l’on pourrait juger souhaitable que le peuple désire.
Mais tout d’abord, mes excuses
Je me dois de vous offrir mes excuses, car l’exemple que je souhaite amener est un sujet dont votre été n’a aucun besoin : le troisième lien.
Mine de rien, on en sera bientôt à la troisième élection provinciale où le troisième lien sera un enjeu majeur, surtout dans la région de Québec. Et même si les experts de différents domaines répètent depuis toutes ces années que ce n’est pas une solution qui règlerait les problèmes qu’on souhaite régler, les sondages continuent de montrer que la population le désire quand même.
Ce type de phénomène, même dans une société qui va très bien, il est tout à fait normal pour une certaine période. Si un nouvel enjeu débarque dans l’actualité et que la population n’a pas eu le temps de s’informer sur la problématique, elle peut avoir le réflexe d’opter pour une position plus instinctive que bien informée. Après tout, la population ne peut pas être experte dans tout, et ça inclut l’urbanisme.
D’ailleurs, il faut l’avouer. Pour un non-initié, il peut paraitre logique de présumer que si on ajoute plus de routes, de ponts ou de liens, la circulation sera plus fluide et tout le monde y gagnera. C’est loin d’être une opinion stupide, c’est une opinion mal informée. C’est dans ce type de situation où les intervenants plus populistes auront du succès avec des rhétoriques de « gros bon sens » ou des slogans du genre « voyons, juste à voir, on voué ben! »
C’est une situation qui peut se prêter à berner les non-initiés… pour un moment. Car avec le temps, dans une démocratie en santé, les débats, les explications et l’expertise devraient permettre à la population de mieux saisir la problématique et que tout le monde finisse par pencher vers une décision dans l’intérêt de tous.
Mais comment se fait-il qu’avec le troisième lien, on ne soit toujours pas arrivé à vulgariser les concepts pertinents? Est-il si difficile de produire des vidéos explicatives? Un petit Ted Talk dynamique avec quelques blaguettes de stand up?
Si la bonne solution est aussi unanime et claire, qu’est-ce qui empêche la pédagogie de se faire et de convaincre les principaux concernés? Les citoyens de la ville de Québec sont parmi les mieux éduqués dans le monde. Comment se fait-il qu’on demeure aussi bêtement dans une dynamique du « être d’un char c’est cool » et « prendre le tramway ou rouler en bicycle c’est BS » ?
C’est un exemple flagrant d’échec démocratique.
Qui manque à son devoir?
Quand ce genre de situation survient sur une aussi longue période, c’est qu’il y a des éléments de notre démocratie qui ne remplissent pas leur rôle. Pour le troisième lien, il y a deux principaux coupables.
Le politique : trop souvent, au lieu de travailler pour le collectif, la CAQ s’est placée le bras dans le tordeur avec une position de type « on sait que ce n’est pas une super idée, mais le monde a l’impression que c’est une bonne idée alors on doit bien faire semblant que c’est une bonne idée pour pas se faire voler nos votes par Éric Duhaime. »
Les médias privés : j’ai déjà abordé dans ce texte le conflit d’intérêts des radios privées. Plusieurs radios locales n’ont aucun scrupule quand vient le temps de discréditer toute option qui éloigne son auditoire du modèle de l’auto solo.
C’est dans ce type de situation où les décisions n’arrivent plus à se prendre dans l’intérêt général et dans un délai raisonnable.
Dans les dernières années, on a accumulé quelques échecs de la sorte. En voici quelques exemples…
Le réchauffement climatique
À l’échelle mondiale, ça fait plus de 30 ans qu’on tente de sensibiliser la population aux conséquences du réchauffement climatique et les fans du statuquo ont toujours réussi à se trouver différents angles pour qu’on ne change à peu près rien.
L’angle non informé : « 2-3°C de plus? Ça va juste faire du bien! »
L’angle du déni : « Vous capotez pour rien! Les inondations et les feux de forêt, ça existe depuis toujours! »
L’angle disculpatoire : « Oui, ça change, mais ce n’est pas à cause des activités humaines. C’est juste la Terre qui change un peu de climat comme dans le film Ice Age. »
L’angle complotiste : « C’est l’industrie du vert qui a inventé un faux phénomène de toutes pièces afin de se mettre riche avec des subventions de panneaux solaires! »
L’angle aquoiboniste : « OK, c’est clair que l’industrialisation humaine a réchauffé le climat, mais de toute façon, la Chine pollue bien plus que nous autres alors peu importe ce qu’on fera, ça ne changera fuck all. »
Qui gagne à pousser cette démagogie?
L’industrie polluante qui souhaite continuer à faire autant d’argent.
Les médias et les politiciens qui souhaitent plaire à l’industrie et réconforter ses citoyens qui n’ont pas envie d’être brusqués dans leurs habitudes.
L’immigration et la pénurie de main-d’œuvre
L’immigration est un autre débat très médiatisé des dernières années. On répète encore très souvent (et dans nos médias les plus crédibles) que tout l’immigration vise à contrer la pénurie de main-d’œuvre. Pourtant, il a été démontré qu’un nouvel arrivant qui débarque crée lui-même assez de demande pour nécessiter l’équivalent d’une autre personne.
On se trouve donc à gonfler la taille de la population, mais sans atteindre le but prétendument visé.
Qui gagne à pousser cette démagogie?
Le patronat qui souhaite de la main-d’œuvre à moindre coût.
Les partis politiques qui souhaitent plaire au patronat.
Les partis politiques qui souhaitent courtiser le vote immigrant en forte croissance dans les grandes villes
Le diffuseur public qui se perd dans son excès de zèle pour l'inclusion et le multiculturalisme. (Voir le mandat de CBC/Radio-Canada.)
Au niveau de la joute politique, le fédéral s’est souvent attribué le beau rôle avec l’immigration. On ne présentait jamais l’enjeu comme une façon de trouver du cheap labor pour faire plaisir aux chambres de commerce. C’était toujours un projet motivé par la grandeur d’âme. Le Canada qui ouvre grand ses bras pour accueillir quiconque le désire sur la planète.
Une stratégie fort habile parce qu’à la moindre critique, on pouvait répliquer avec des accusations d’intolérance, de fermeture et de racisme. Plusieurs intervenants dans notre univers médiatique ont adopté cette posture chevaleresque.
Sauf que sur cet enjeu, les choses ont continué d’évoluer. Je travaille sur ce texte depuis un bon mois, et au cours de l’écriture, plusieurs éléments sont venus influencer le débat. Il y a d’abord eu l’ONU qui a parlé « d’esclavage moderne » pour décrire la situation canadienne.
À partir de ce moment-là, les masques ont commencé à tomber sur toutes les bonnes intentions derrière ces politiques.
Cette semaine, au retour des vacances d’été, même les intervenants les plus démagos sur les accusations de racisme en étaient à parler de consensus que l’immigration est bien trop importante. (Même Michel C. Auger!) Espérons qu’on se gardera maintenant une petite gêne avant de replacer le débat sous un angle si bête de grande vertu.
La santé d’une démocratie
Je pourrais nommer d’autres exemples, mais comme vous l’aurez peut-être déjà remarqué, ce sont souvent les mêmes coupables qui font déraper nos débats :
Des politiciens irresponsables
Des compagnies irresponsables
Des médias irresponsables et/ou dont l’idéologie pousse à errer
Il existe plusieurs organismes qui mesurent la santé des différentes démocraties dans le monde. Voici une carte mondiale selon les données et les critères du Economist Intelligence Unit.
On y remarque que les États-Unis sont classés dans la fameuse catégorie bleu pâle du « flawed democracy ». Traduction libre : une démocratie un peu bouette.
Quand on se questionne sur l’état de notre démocratie, les États-Unis représentent un excellent l’exemple de ce qu’on ne doit pas faire.
Lors de sa fondation, les États-Unis représentaient un vent de fraicheur parmi toutes les démocraties du monde. Sauf qu’avec le temps, malgré les amendements pour tenter de préserver son intégrité, c’est devenu un pays où l’argent mène absolument tout. Comme les dons politiques sont quasi illimités et que l’industrie peut participer au financement politique, tout le système s’est perverti pour passer du principe de « une personne, un vote » vers « un dollar, un vote ».
Au Québec, le gouvernement de René Lévesque nous a protégés de ces dérives en 1977 avec sa loi sur le financement politique. Ici, seuls les citoyens peuvent donner de l’argent aux partis politiques, et même si on a connu quelques histoires de prête-noms et qu’on se scandalise à l’occasion pour des cocktails de financement semi-louches, la situation n’est rien comparée à la société américaine.
Aux États-Unis, les riches qui influencent les politiciens en leur garrochant des millions, ce n’est pas un bogue, mais bien le feature.
D’ailleurs, si Joe Biden a fini par laisser sa place à Kamala Harris cet été, c’est avant tout parce que les gros donateurs avaient décidé de lui couper les vives. On peut donc se demander combien de promesses doivent être faites aux donateurs millionnaires pour atteindre le pouvoir. Une fois au pouvoir, combien de temps et d’énergie sont investis à remplir ces promesses? Et au bout de tout ça, qu’est-ce qu’il reste pour le peuple et l’intérêt collectif?
Les États-Unis sont aussi une excellente démonstration de ce que l’on souhaite éviter au niveau médiatique. Même s’ils représentent le pays le plus riche sur la planète, le géant continue d’être en queue de peloton chez les pays modernes pour le financement de leur diffuseur public. On a fait le choix de tout confier au secteur privé, avec des chaines de nouvelles si biaisées que le public vit dans des réalités complètement différentes selon qu'il regarde Fox News ou CNN.
D’ailleurs, le public canadien qui consomme souvent davantage les médias américains que les siens s’en trouve aussi affecté.
Au Québec, la barrière de la langue, nos valeurs plus progressistes et notre adhésion à nos médias locaux arrivent encore à nous éviter ce raz-de-marée démagogique. Ce n’est pas un hasard si seulement 14% des Québécois voteraient pour l’ultime démago-populiste, Donald Trump. C’est beaucoup moins que dans le reste du Canada.
Qu’est-ce que le Québec peut faire?
Pour le financement politique, le Québec est déjà un leader avec ses dons individuels qui représentent de bien petits montants. Ce n’est jamais parfait puisque la perfection en démocratie n’existe pas, mais il serait difficile de faire mieux.
Mais même si on peut se consoler que la démocratie québécoise soit souvent en meilleure posture que la démocratie américaine, il reste encore amplement d’espace à l’amélioration. Dans l’étude citée plus haut du EIU, on remarque que le top 5 de l’élite mondiale a plusieurs éléments en commun.
Nos amis scandinaves aux petites populations occupent encore quatre positions sur cinq. Seule la Nouvelle-Zélande fait exception depuis qu’elle a grimpé en flèche sous le règne de la dynamique Jacinda Ardern.
Alors que le Canada a l’ambition de gonfler sa population à 100 millions, le Québec correspond exactement à la taille des meilleures démocraties au monde. Les quatre pays scandinaves sont aussi des peuples qui participent à la diversité du monde avec une langue distincte de leurs voisins. Il est aussi à noter que si le Québec choisissait de devenir un pays, ce serait le moment idéal pour transiger vers un système électoral proportionnel.
Le problème médiatique
L’arrivée d’internet a pulvérisé le modèle d’affaires de tous les médias qui comptaient sur la publicité. De plus, avec la montée des Conservateurs de Poilievre qui souhaitent anéantir la CBC, le ROC souhaite encore s’inspirer du modèle américain.
Même si on peut comprendre les conservateurs d’être tannés que le diffuseur public leur nuise au niveau politique, en quoi serait-il dans l’intérêt de la population de perdre une source aussi importante d’information?
Quand on est en colère contre un média pour la mauvaise qualité de son contenu, avant de les amener à la guillotine, on devrait d’abord chercher comment leur injecter de meilleurs standards de qualité.
Notre univers médiatique devrait répondre au maximum à ces critères :
Des médias indépendants : Tous les modes de financement d’un média comportent des enjeux éthiques à surveiller. Que l’argent arrive du gouvernement, de la pub, de patreons ou d’un proprio comme PKP, Power Corp ou Elon Musk, ça implique toujours certains biais. L’important n’est pas d’arriver à dénicher une proprio licorne qui serait absolument pure dans ses intentions, mais plutôt d’implanter assez de mesures pour que la séparation soit la plus étanche possible entre la salle de presse et son financement.
Une diversité de médias : Il est important d’avoir accès à plusieurs médias différents qui auront des valeurs différentes, mais aussi des angles morts différents. Par exemple, si on avait compté sur Cogeco pour nous expliquer ce qui s’est passé avec MC Gilles et Pierre-Yves McSween, on serait resté sur notre faim. Et si on espère apprendre sur les bienfaits de l’indépendance du Québec en lisant The Gazette, on risque aussi d’être déçu. D’où l’intérêt d’avoir assez de médias pour qu’on ait droit à une multitude de points de vue et que les zones d’ombres soient le plus rares possible.
Des médias éthiques et redevables : Il est important que nos médias adoptent des pratiques éthiques et journalistiques exemplaires. Qu’ils adhèrent à un code de déontologie de qualité. C’est aussi important qu’ils aient des comptes à rendre. Par exemple, l'ombudsman de Radio-Canada est une figure clé dans le maintien de l'intégrité et de l'éthique journalistique au sein de notre diffuseur public. Il existe aussi le Conseil de presse du Québec. Ce sont des outils d’une importance capitale dans la qualité de l’information.
D’ailleurs, Québecor brille encore par son absence dans la liste des membres du Conseil de presse.
On a bien trop peu de médias au Québec pour qu’un aussi gros joueur continue de bouder ce type d’organisme.
Des médias en santé financière : Un média en mode survie, c’est un média forcé de couper les coins ronds. On doit remplacer des journalistes par des chroniqueurs populaires. On doit négliger les longues enquêtes dispendieuses au profit d’opinions spontanées qui génèreront autant de clics pour moins cher. D’ailleurs, quand les Conservateurs font ouvertement campagne pour la mort du diffuseur public, ça place le diffuseur public dans une position impossible.
En résumé, la solution à un univers médiatique imparfait, ce n’est pas d’avoir moins de médias, mais bien que nos médias s’améliorent.
Le miroir
Malgré tous les éléments énumérés dans ce texte, il ne faut pas oublier un élément essentiel d’une démocratie en santé : des citoyens intéressés, éduqués et perspicaces.
Seulement pour faire une plainte pertinente à l’ombudsman de Radio-Canada, ça prend un citoyen qui coche plusieurs cases :
être au courant de l’existence de l’ombudsman
avoir une certaine confiance dans l’institution
connaitre les standards que nos médias devraient respecter
être apte à exprimer sa pensée clairement
se soucier du débat public et avoir à cœur l’évolution de sa société
À l’inverse, chaque citoyen qu’on perd au désintéressement, au cynisme ou carrément à la stupidité, c’est un petit boulet de plus qu’on doit trainer collectivement. La qualité de nos élus et de nos médias dépend grandement de la qualité des citoyens. Lorsqu’on vote pour des politiciens démagos, on encourage les discours démagos. Lorsqu’on choisit de détruire les fondations de notre démocratie parce que ça défoule sur le coup, ce sont les citoyens qui choisissent de se tirer dans le pied.
À l’inverse, face à une population impliquée et vigilante, la démagogie est beaucoup moins efficace et le niveau de discussion grimpe rapidement d’une couple de coches.
Dans nos médias, on valorise souvent le « payeur de taxes » en le flattant dans le sens du poil, mais au-delà de cette contribution essentielle à financer nos services, on devrait davantage mettre en valeur ceux qui ont à cœur de participer à l’évolution de notre démocratie. Car un des ingrédients essentiels à la réussite démocratique, ce sont les citoyens qui, en bon français, arrivent à suivre la puck.
Excellent article. Par contre je déplore qu'il ne soit pas question de l'influence de l'extrême droite française au Qc. Mathieu Bock Côté/Martineau/Durocher/Facal empruntent les idées du camp Le Pen et les propagent via la convergence Québécor! Il y a plus de Québécois qui s'informent sur TV 5 que sur CNN ou Fox News. Et en France on a pas peur d'appeler un chat un chat. Le barrage fait au RN aux législatives est révélateur de la crainte que susciterait l'arrivée au pouvoir de Le Pen. La démocratie au Québec n'est pas en meilleure posture qu'au Canada. On a eu un Marc Lépine et un Alexandre Bissonnette. Faut éviter l'angélisme quand il est question du Qc. Le Qc n'est pas à l'abri des dérives du nationalisme identitaire.